mardi 8 mai 2012

Rachid, le « trader » de la cité de la Morlande


On a rencontré Rachid Eddahbi un vendredi, à la sortie de la petite salle qui fait office de lieu de prière  dans la cité de la Morlande à Avallon au milieu de ses copains d'enfance.  En rigolant, l'un d'entre eux avait lancé : "Lui, on l'appelle notre taulard !" "Enfin, notre trader, quoi !", avait corrigé un autre.
©Antonin Sabot / Le Monde
©Antonin Sabot / Le Monde
Rachid Eddahbi n'est pas trader. A 24 ans, après un mastère 2 d’ingénierie financière et six mois de stage, il vient d'être embauché dans une banque d'affaires parisienne, où il sera chargé des fusions-acquisitions. Loin du monde dans lequel il a grandi. Ses parents, Ahmed et Halima, sont arrivés du Maroc à la fin des années 1970. Son père, ancien militaire, a travaillé comme gardien dans la propriété de la famille Schiever, héritière et dirigeante du groupe de distribution du même nom. Les Eddabhi ont d'abord vécu quelques années dans une annexe de la propriété avant de rejoindre le quartier de la Morlande pour se rapprocher de la communauté marocaine d'Avallon.
Son bac en poche, Rachid a commencé par un DUT à la faculté de Dijon. "Je me voyais bien rester là." C'est son frère, Mustapha, qui l'a poussé à continuer ses études. "Il m'a dit : 'Si tu veux accéder à des postes importants, va à Paris'".
Là, il a découvert le monde des classes préparatoires et des grandes écoles. "Les prépas, au lycée, on ne m'en avait jamais parlé. Ce qui m'a manqué, c'est l'information. Je n'avais pas le capital culturel, social, qui me permettait de voir plus loin que l'année d'après. J'aurais aimé qu'on me conseille, qu'on me pousse à travailler davantage pour aller dans un bon lycée, tenter les grandes écoles. Je sens que j'aurais été capable. Je vais compenser, essayer de passer un MBA [Master of Business Administration] plus tard. Mais c'est un vrai regret pour moi aujourd'hui."
Ce week-end, comme chaque week-end pendant ses études, Rachid Eddahbi a retrouvé le cinq pièces familial où sa mère vit seule désormais, la salle de prière du quartier - "Je me sens chez moi ici,  je ne vais dans aucune autre", dit-il – l'entraînement et le match de foot du dimanche avec les copains. Il sait que cette période de sa vie s'achève.
©Antonin Sabot / Le Monde
©Antonin Sabot / Le Monde
Dans le salon meublé à la marocaine, une pile de chemises impeccablement repassées l'attend. A Paris, il s'est acheté son premier costume, "du demi-sur-mesure", et se cherche un appartement. Avec ses copains du quartier, il n'entre pas trop dans le détail de son futur métier. Il ne s'attarde pas non plus sur le montant du salaire qui figure au bas de son contrat.
Lorsqu'il a annoncé la nouvelle de son embauche à sa mère, Halima, elle a été "très fière", dit-il.  Rachid est le dernier de ses enfants à s'éloigner de la ville qui les a vus grandir. L'ainée, Samira, 36 ans, est directrice d'une boutique de vêtements à Paris. Latifa, 34 ans travaille au service contentieux d'une banque. Fatima, 32 ans, est commerciale chez un opérateur téléphonique. Khadija, 31 ans, est cadre à la RATP et Mustapha, 28 ans est "business analyst" chez un constructeur automobile.
Halima a juste murmuré à son fils : "Tu rentreras me voir, quand même ?"
Rachid Eddahbi, dans l'appartement familial.©Helene Jayet
Rachid Eddahbi, dans l'appartement familial.©Helene Jayet

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